Death In June and special fiends à Lausanne: histoire d’une revanche
Nous avons beaucoup hésité avant de prendre la décision d’organiser le concert de Death In June, Non et Wolfpact à Lausanne. D’abord parce que n’ayant jamais organisé de concerts et n’en étant qu’aux fondations de la structure SoleilNoir, il nous semblait prématuré et un peu suicidaire d’ouvrir directement les hostilités avec le « groupe », le plus mythique et le plus controversé de tous – si tant est qu’on veuille appeler controverse la lamentable chasse aux sorcières néo-maccarthyste dont est victime Douglas P depuis quelques années, singulièrement depuis le triste précédent lausannois. D’autres semblaient plus à même de prendre un tel concert en charge.
Rétrospectivement pourtant, je réalise que SoleilNoir est né le 16 novembre 1998, dans une Dolce Vita d’ores et déjà condamnée, sous étroite surveillance policière. C’est l’incrédulité, la rage et la frustration ressenties ce soir-là qui nous ont éveillé: c’est l’arbitraire qui a provoqué le sursaut de résistance. Sans Death In June interdit, pas de SoleilNoir. Il était donc conforme au destin – à notre Wyrd – que ce soit Death In June qui baptise notre association, trois ans plus tard. Ce qui la place d’emblée sous les meilleurs auspices!
De fait, une série de « coïncidences » ne devant rien au hasard, alliée à la certitude grandissante qu’il était de notre devoir de le faire et à la constatation que personne d’autre ne s’y risquerait, nous ont finalement poussé à l’action. Il y avait là (osons le mot) une question d’honneur.
Quand une action est motivée ni par des obligations extérieures, ni par notre raison ou notre ego, mais bien par notre voix intérieure, les obstacles potentiels s’évanouissent souvent d’eux-mêmes. Et effectivement, ce concert s’est magnifiquement bien passé. Bien sûr nous avons dû prendre des précautions : plutôt que de tenter un affrontement perdu d’avance contre les forces du politiquement correct et la police de la pensée (en l’occurrence, antifas, LICRA, ACOR, Etat, médias), nous avons opté pour une confidentialité stricte: pratiquement pas de flyers, promotion par e-mail sans que ni le nom de Death In June ni le lieu n’apparaissent, seul une adresse email permettant de connaître un numéro de téléphone à appeler le jour même. L’expérience nous a appris que la bonne foi et la sincérité ne font pas le poids face à la force du néo-conformisme et de la censure bien-pensante. Triste, mais on en est là. Un peu à la manière des premiers agitateurs culturels sous le régime soviétique il y a 20 ans. La différence entre une démocratie et une dictature nous est alors apparue dans toute sa clarté : une dictature au moins n’a pas l’hypocrisie de se prétendre démocratique.
Jour J : pas de fax anonyme, pas d’article scandalisé, pas de descente de police, tout va bien. Y., seule détentrice d’un permis de conduire est fortement mise à contribution dès le début de l’après-midi, elle multiplie les allers-retours avec Bastos l’ingénieur du son. A. et A. de The Sanctuary, avec Miguel de Kamikaze Productions, l’organisateur du concert à Barcelone venu spécialement pour l’occasion, mettent à profit leur longue pratique de la décoration : en une heure les filets de camouflage recouvrent le plafond de la cave. Nous découvrons les aléas de l’organisation de concerts dans un lieu dont ce n’est pas la vocation première en descendant des praticables de 2 m sur 1 par un escalier en colimaçon sans lumière. Curieusement, le téléphone après avoir sonné furieusement en début d’après-midi est silencieux…. Ce n’est qu’après coup que nous réaliserons que la communication ne passe pas dans la cave. Du coup une vingtaine de personnes ne trouveront pas le lieu et ne seront pas là le soir. Juste ce qu’il nous manquera pour rentrer dans nos frais…
Appel de Sven, le tour manager : ça y est, ils sont là. Y. part les ceuillir à la sortie de l’autoroute. Un quart d’heure après, séquence émotion en serrant les mains de Doug, Boyd et John. Ils sont de retour! Nous n’avons pas capitulé!
Mais nos héros sont fatigués, par trois semaines d’une tournée européenne zigzagante et chaotique qui les a trimbalé du Portugal à la Bretagne, de Cannes à Anvers, de Chemnitz à Lausanne (800 km par jour en moyenne). John en particulier, déjà peu démonstratif dans son état normal, semble au bord du collapse. La collation prévue, 100% terroir helvétique (saucisson de Payerne, gruyère, appenzeller, beurre du Pays-d’Enhaut, pain complet, chocolat, Pinot noir, Sinalco, Henniez, Cardinal) rencontre un succès très mitigé. Doug est végétarien, il ne boit que du blanc, et tous demandent du Redbull…
Pendant le soundcheck, les premières personnes, Allemands, Français et Zurichois, arrivent au bar qui surplombe la salle. Rapidement, il se remplit d’une petite foule sombre, où dominent cravates, runes et tenues militaires. La barmaid, très sympa, nous autorise à remplacer l’obligatoire CD de muzak brésilienne par Take Care And Control, au grand soulagement de beaucoup. La tension commence à monter, surtout pour nous.
Une fois la cave ouverte, force est de constater que l’affluence anticipée selon les réservations n’est pas au rendez-vous. La salle est pleine, environ 80 personnes, mais on en attendait au moins quarante de plus. Après avoir attendu et espéré en vain une heure, il est temps pour NON de monter sur scène.
Tout en cuir noir, calot militaire inclus, croix de Lorraine sur la poitrine, Boyd Rice attaque frontalement avec Total War. Les samples, les boucles et les divers effets se superposent pour former un magma sonore menaçant et galvanisant, pure agression, pure volonté de puissance nietzschéenne mise en son, une demi-heure terrible, qui se termine par trois coup de sifflet.
Après vingt minutes de pause, DJ Alex passe trois fois en boucle le superbe Many enemies bring much honour, nouveau titre inédit de Death In June qui sortira sur l’album Fire Danger Season de Der Blutharsch, et parfait leitmotiv pour cette tournée. Doug et John, masqués et camouflés, attaquent avec C’est un Rêve, adapté « ou est Douglas P? / Il est banni / à Lausanne… », avant de se terminer par un triomphant « et maintenant… je suis ici! », sous les hurlements de joie du public, et surtout la version live, par A. et A., de leur désormais fameux cri « Liberté! », immortalisé au début de l’album Operation Hummingbird. Génial. Je sens une grosse boule se nouer dans mon estomac. Non, nous n’avons pas capitulé. On se congratule.
Douglas remplace son masque vénitien par un casque et un filet de sniper (s’il existe un franc-tireur musical, c’est bien lui) et enchaîne avec le durassien She Said Destroy, adapté aux événements récents: « He Said Destroy / in black New York… », Fall Appart, Rose Clouds of Holocaust, Giddy Giddy Carrousel… incroyable la puissance et la beauté d’airain de ces titres, calmes, sereins, dépouillés à l’extrême, guitare, voix et batterie. Et il ne manque rien, tout est là. Les premiers rangs dansent, c’est hallucinant. Sur de la guitare sèche! Le public est en transe, il laisse exploser sa joie entre les titres, l’enthousiasme est vraiment général, l’atmosphère électrique et recueillie à la fois. Runes and Men, But, What Ends…, Smashed to Bits, c’est un véritable best-of, toutes les plus belles compositions de Death In June y passent, mises à nu, sublimement mélodiques, souveraines. C’est beau à pleurer. Magique. Beaucoup gardent les yeux fermés. Kameradschaft, chante doucement Doug, « Kameradschaft! », lui répond la salle, unanime. Elevation.
« These are strange days for you, me and Switzerland / Your enemy seems to be within… » Pour le rappel, Doug revient coiffé d’une simple casquette et entame Heaven Street. Explosions de joie. C’est du pur délire. Boyd, tête nue, introduit les titres de All Pigs Must Die, comme sur l’album. « This is a story about people who like to waste time… waste their time, waste our time, waste your time… » et je pense à nos méprisables « antifas » anonymes, à nos braves édiles locales, à nos pauvres journaleux à l’ego hypertrophié. Bye-bye piggies!
Second rappel: « Do you ever think about what a lovely place the world would be, without all the people that make life so unpleasant? », profère Boyd. Je ne rêve pas: c’est People de Boyd Rice & Friends Fabuleux. Inespéré. Les connaisseurs frôlent l’évanouissement, la pollution incontrôlée dans le caleçon, la crise d’apoplexie, etc.
Bref, deux heures (ou une, ou trois, aucune idée) de pur bonheur, de musique, de martinis et de misanthropie, comme disait l’autre. De l’avis même des musiciens, l’une des meilleures date de la tournée. Un grand honneur pour nous, un vrai plaisir pour eux, nous ont ils assuré. Et surtout, surtout, une belle revanche, la plus belle qu’on puisse rêver. De quoi puiser des forces pour tenir et continuer. En dépit de Lausanne, en dépit du monde.
TOUTE CULTURE EST RÉSISTANCE!
07.05.02
SoleilNoir, An 1
Then my loneliness closes in, so I drink a German wine
And drift in dreams of other lives, and greater times…